Enter.the.Wired // Serial Experiments Lain

Tokyo envahi par des réseaux électriques et informatiques, des passants vaquant à leurs occupations, des gens qui s'aiment et se haïssent. Un quotidien routinier avant le début du rêve... ou du cauchemar. La bande son se charge alors d'un ronronnement électro-magnétique et l'image s'illumine d'une atmosphère grise et froide, nous enveloppant dans une contemplation mélangeant fascination et terreur.
Lain Iwakura, quatorze ans, se rend à son école comme chaque jour, croisant les mêmes ombres tachetées de sang sur son chemin...
Renfermée et peu bavarde, Lain communique parfois avec ses rares amies par l'intermédiaire du Wired, un réseau informatique bien plus élaboré qu'Internet, permettant une immersion quasi-totale dans ces cyber-mondes. L'une des ses camarades est Chisa. Elle affirme avoir rencontré Dieu dans ces mondes virtuels ! Et pour cause... Chisa est morte, suicidée quelques jours auparavant !

"J'ai juste abandonné ma chair, mais mon âme vit toujours !", clame le fantôme.

Plus tard, Lain va dans une discothèque, quand soudain, un junkie perd la raison, abat froidement plusieurs personnes avant de pointer son arme sur Lain. Il la supplie de le laisser en paix ! Pourtant celle-ci n'est jamais venue ici auparavant. Soudain Lain, comme possédée, lui rétorque froidement : "Où qu'ils se trouvent, tous les humains sont connectés !". Un coup de feu claque ! Le junkie, terrorisé, a préféré se donner la mort...
Inquiète des événements surnaturels se passant autour d'elle, Lain part à la recherche de la vérité sur le Wired. Une quête qui brisera définitivement les frontières entre la réalité et le virtuel. Dans quel but ? Peut être Lain a-t-elle un rôle à jouer dans cette tragédie pré-programmée.


Rêves d'enfants
Lain est avant tout un trip d'auteur, visuellement sublime, dont les propos peuvent dérouler au premier abord, car son scénario semble parfois traîner en longueur, ses dialogues tourner en rond, et l'intrigue partir dans toute les directions à la fois. Puis, graduellement, les révélations fusent, les événement se précipitent et le puzzle se met en place, tissant une toile mortelle pour tous les protagonistes. Mais les rêves de Lain sont aussi des labyrinthes scénaristiques plus complexes et tortueux qu'un Ghost in the shell. A l'image de son illustre modèle, elle en emprunte son rythme lent, ses scènes contemplatives, et ses moments d'actions parfois sous adrénaline. Le tout est orchestré par la main de maître du réalisateur Ryùtarô NAKAMURA (Patlabor OAV), aidé en cela par "l'hétéroclite" Chiaki KONAKA (scénariste sur la série TV de Vampire princess Miyu et Mahôtsukaitai !). Les deux compères y vont alors de leurs touche personnelles pour nous plonger dans un monde où la structure narrative se dissout comme dans un rêve, où les images les plus bizarres et déjantées côtoient la poésie pure et glacée de l'imagerie numérique...
S'appuyant sur certaines observations scientifiques et sociologiques plus ou moins controversées, KONAKA nous décrit une alternative (fantaisiste ?) à notre monde réel par l'intermédiaire du virtuel. Certes, critiquer la fuite de la réalité pour un monde imaginaire n'est pas un thème fort original, mais que feriez vous si votre fuite vous menait à une autre réalité ? Voilà qui change toutes les données du problème...

Ukyo-e
Autrement dit : "Images du monde flottant". Si cette maxime semble être l'un des apanages de cette série, elle n'est pas néanmoins son seul atout.
Tout d'abord, certains remarqueront dans Lain une certaine surenchère d'effets de styles, notamment dans la mise en scène et les les effets spéciaux numériques, ceci à l'inverse d'une autre série D'OAV réellement malsaine dont lain est la cousine la plus proche, semble-t-il : Key the metal idol. Une oeuvre dont le graphisme et la mise en scène sans prétention laissent croire à une banale histoire de science-fiction de plus. Mais son scénario démoniaque et "maladif" prend le pas sur nos préjugés pour nous imposer une des séries les plus dérangeantes de ces quinze dernières années. Quitte à comparer, Lain lui préfère une réalisation onirique et transcendée par un scénario mystique à souhait. Là où Key dérange, Lain fascine. Par conséquent, le fait que le mode réel et virtuel se confondent dans Lain justifie une certaine forme de narration distordue, jouant sur les symboliques visuelles et soutenue par un montage très stylisé.
En cela, le réalisateur Ryùtarô Nakamura privilégie des cadrages hautement expressifs contre-balancés par quelques animations standard mais d'une richesse visuelle ambitieuse (d'où un impact plus marquant) et transcendés par des décors de Hiroshi katô (Ah ! My Goddess et Evangelion). Un maître de l'ambiance qui réussit à rendre étrange et fascinant le plus banal de nos univers urbains...
En parlant d'Evangelion.
Lain se rapproche parfois beaucoup de la série culte de Gainax dans ses ambiances de scènes d'introspection. Dans Evangelion cependant, le spectateur profane est pris parfois au dépourvu par cette série qui enchaîne (avec virtuosité, certes) des mecha géants, de la comédie, de la philosophie, etc... laissant celui-ci perplexe quand à la nature réelle de ce qu'il regarde. Au contraire, lain reste homogène dans son déroulement, installe ce même spectateur dans une ambiance ne lui laissant aucun répit, affiche ses ambitions artistiques et scénaristiques dès le départ, et - comble pour une série TV nippone - n'utilise aucune forme d'humour pour ne pas désamorcer ses effets dramatiques (voire tragiques). Les seuls moments de "détente" sont parfois un coin de ciel bleu et des arbres d'un vert pas franchement naturel... Pessimistes et suicidaires s'abstenir !

Ghost in the net
Si lain est un univers de fiction, cet amime peut être néanmoins une projection réaliste de notre monde social futur... La technologie y tient une part importante, et son rapport avec les personnages de la série n'est pas un luxe hasardeux. Reprenons comme exemple la série TV Evangelion. Parmi ses nombreuses qualités, celle-ci "analyse" les comportements sociaux et psychologiques de certains de ses personnages de manière très réaliste et sensible. Cependant, la technologie dans Evangelion tient une place secondaire, car elle n'affecte pas réellement le comportement de ses protagonistes. Celle-ci est en fait un artifice scénaristiques que déclenche certaines situations servant son propos science - fictionnel. Ainsi, l'action d'Evangelion pourrait se passer de nos jours, sans ses gadgets futuristes, et cela, sans perdre la pertinence de ses propos. Lain, au contraire d'Evangelion, analyse les rapports directs entre l'homme et la technologie, la science, et de ce point de vue là, décrit un comportement social futuriste plus plausible. De ce fait, la technologie influence directement les héros; Elle est un personnage à part entière, peut-être même la véritable" héroïne de la série!
En attendant, notre héroïne "officielle", Lain est une jeune fille craintive mais curieuse, qui veut en savoir plus sur elle-même. Il y a de quoi, quand on se souvient presque jamais de ce que l'on fait de ses journées comme si celles-ci n'avaient jamais existées ! Parfois, Lain a de curieuses sautes d'humeur, devient très agressive ou au contraire extrêment douce. Quand elle part en quête sur le Wired, on ne sait jamais si elle s'y trouve physiquement ou virtuellement, ou bien les deux! Mais finalement, le plus important est sa quête de sens, chercher le but de son existence même dans notre réalité, ainsi que ses origines. Par moment consciente de sa tragédie personnelle, Lain aborde finalement sa peur d'exister comme le ferait l'enfant qu'elle est, surdouée certes, mais qui enfouit d'elle-même ses peurs enfantines.
Chercher des réponses auprès de sa famille est, semble-t-il utopique. Entre Mika, sa soeur, qui est un vrai garçon manqué, et ses parents qui font office de "meubles" mais qui détiennent une partie de la vérité, il ne reste pas grand monde. Quant aux camarades de Lain, seule sa meilleure amie Alice détient peut-être un élément de réponse à cette question obsédante : qui est Lain ?
Là encore, quitte à jouer au chat et à la souris, notre héroïne est pour le moment la proie de Knights. Des pirates informatiques cherchant sur le Wired un Dieu auto-proclamé. Paranoïaques, souvent renfermés, parfois anodins, ces humains sont tous quasiment "branchés" sur les réseaux informatiques. Car pour bien comprendre le monde de Lain, il faut accepter le fait de ne pas être branché signifie être un paria, un has-been, signifiant peut-être là son arrêt de mort (physique ou social). Etre branché sur le Wired peut sauver votre âme ! Et les Knights veulent en quelque sorte sauver Lain. Pourquoi ?

Sciences et prophéthies
Aussi, il n'est pas rare de croiser dans la série quelques illuminés (des Otaku caricaturés ?) errant à demi-fous sur le réseau à la recherche du Salut. Décalés, parfois excessifs, ceux-ci tentent d'échapper à leur réalité, comme cet étrange personnage déambulant dans les rues de Tôkyô, sanglé à un appareillage informatique imposant. Chaussé d'un casque virtuel, celui-ci voit le monde sous forme d'images"lives", avec de véritable personnes, filmées caméra à l'épaule. Au-delà du simple effet de style, le réalisateur ose nous renvoyer, par ce clin d'oeil, à notre propre réalité...
Finalement, être sur le Wired, c'est peut-être, avant tout, échapper à sa propre solitude. Echapper aux contacts physiques pour privilégier le contact virtuel, sécurisant et anonyme... C'est du moins une certaine tendance actuelle depuis l'explosion récente de l'informatique et des jeux vidéos, notamment au Japon. Et la petite Lain n'échappe pas à cette angoisse paranoïaque.
A contrario, la science, se disant pure et lucide, sert de lien à toute cette démence. Nombre de théories audacieuses sont mises en avant pour tenter d'expliquer les bouleversements du monde réel tout au long de la série. Toutes sont, à peu de choses près, basées sur les logiques de la communications. Dans l'une des campagnes de promotion de cette série, plusieurs indices vinrent aider les téléspectateurs à mieux appréhender l'univers de Lain, mais sans en dévoiler les tenants et aboutissants. L'un d'eux fut le récit d'un fait divers tragique et véridique de soldats américains qui, au cours de la Guerre de Viêt-nam, reçurent des prothèses métalliques sur leurs boîtes crâniennes suite à de graves blessures. A cause des impulsions éléctriques émises par leurs cerveaux, ceux-ce recevaient dans leur crâne des émissions radio 24h sur 24 ! Cela aurait pu être drôle si ce n'était pas horrible, car certains devinrent fous...
Ces thérories, parfois authentiques, trouveront leur quintessence au cours du neuvième épisode charnière, avec la présentaion de "l'effet de résonnance Shuman", audacieux et terriblement réaliste !

Zen numérique
Il eut été étonnant que les créateurs de Lain ne poussent pas leur concept à son paroxisme ne la réalisant entièrement sur support numérique.
En se sens, Lain met à son service le dernier cri en matière d'animation, traditionelle d'une part (animation des personnages et objets), informatique de l'autre (interfaces graphiques d'écrans à faire pâlir de jalousie les computers de Star Trek, effets spéciaux 2D/3D, etc...), augurant ainsi de ce que seront certaine séries télévisées haut de gamme au XXIe siècle. Le tout est naturellement rehaussé par une bande sonore oppressante et manipulatrice. Ainsi, les ambiances servant de toile de fond à la série comme les grésillments électriques, les bruits de rues, et une musique envoûtante, sont réellement présents, faisant partie intégrante de l'univers glauque de Lain. C'est Reichi Nakaido, membre du groupe Chabo, qui justement nous envoûte par ses compositions techno omniprésentes et ses airs de guitare électrique mettant parfois nos nerfs à vif, notamment dans la première moitié du onzième épisode, qui est en fait un clip musical de dix minutes non-stop. Quant au générique de début (nommé Duvet), le groupe Boa nous hypnotise avec une étrange chanson en anglais d'une rare beauté musicale, et déjà culte pour de bon nombre d'anime fans.
Mais Lain ne serait pas Lain finalement sans la participation salutaire de Yoshitoshi Abe, mystérieux illustrateur peu connu, secondé par le character designer Takashiro Kishida, un habitué des productions hors normes puisqu'il signa les personnages de Kenji no Haru, grand classique animé télévisuel incontournable, très proche visuellement de Lain! Ainsi notre série bénéficie d'un graphisme épuré à l'extrême rappelant les personnages d'autres productions Pioneer (producteur de la série) comme Green Legend Ran. Mouvance ? Peut-être, mais une chose est sùre, rarement, le regard froid d'une héroïne de papier n'aura été aussi intrigant et parfois... parfois aussi terrorisant !

Virtuellement
Lain est une expérience unique, un trip esthétique halluciné que l'on a l'habitude de voir qu'au cinéma ou sur le marché des OAV, et trop rarement à la télévision. En se sens, cette série se rapproche d'une oeuvre live, débarrassée des effets de style inhérants aux animes académiques nippons, franchissant ainsi une étape supplémentaire vers une ceraine maturité visuelle et narrative.
Mais au-delà de sa performance visuelle, Lain possède une histoire qui prend aux tripes. car il faut reconnaître que si son univers nous semble parfois décalé, celui-ci, par moments se rapproche très dangereusement de nôtre !
Ainsi lain embrasse un univers trop vaste pour être d'écrit en seulement quelques lignes, justement, nous pourions en écrire des centaines, si ce n'est que parfois, à la place de long discours, une seule image peut vous toucher. Cette image est celle de Lain, qui par son indolence, son regard triste et son apparente fragilité, nous invite à la rejoindre au sein de "sa" propre réalité.
Et quand Lain sourit, il ne vous reste plus que la peur au ventre, car vous n'existez plus...

To BE continued...

Credits.
Article original de Philippe Karakasyan - Anime Land n°53
Trouvé sur www.lain.ht.st
Relecture + mise en page : Gore.