Marchande.de.sable // Serial Experiments Lain

/* Attention : ce qui suit ne concerne qu'en priorité les lecteurs ayant vu L'INTEGRALITÉ de la série. */

Lain est partie de notre réalité comme elle est arrivée, discrètement. Désormais, elle contrôle l'absolue réalité de notre univers et ni la prétention des hommes, ni la quête d'un pouvoir futile n'auront entaché celle qui recherchait tout simplement, une place dans le cœur d'autrui. Ainsi s'achève la quête de Iwakura Lain, qui, partie à la recherche de son identité sur le Wired, découvrir sa terrible vérité: elle n'existai pas ! Elle n'était qu'un programme évolutif qui prit un jour son destin entre ses mains pour transcender enfin la fusion entre le mode réel et le monde virtuel. Cela fut sa dernière action avant de retourner dans un néant qui se révélera être les portes du Paradis. Ainsi, l'humanité ne connaîtra jamais à quel joug celle-ci a échappé.
Joug ? Tout dépend du point de vue. Réfugié dans le Wired, l'homme se créait des avatars, réinventait chaque jour son univers dont il se croyait le Dieu, transfigurant ses fantasmes et les multiples facettes de sa personnalité. Arrivant à une époque où la société japonaise est en proie à diverses influences culturelles et philosophiques, en quête d'une "identité" à la veille du troisième millénaire, Lain est le trip d'auteurs nous livrant pêle-mêle leurs observations de leur monde dont les rêves n'osent plus affronter la réalité.
Notre marchande de sable s'est enfin réveillée...

LAYER 01 : L'Annonciation
Serial Experiments Lain est un rêve. En se remémorant celle-ci, il est difficile d'en avoir des souvenirs précis, comme si l'on se réveillait d'un long sommeil embrumé. Lain est un état d'être, un univers foisonnant de symboles parfois inaccessibles au non initié à la cyber-culture, déployant une narration complexe et expérimentale, avec son lot de maladresses, de coups de génie, ne se livrant totalement qu'après de multiples diffusions. C'est ainsi que les auteurs consignère dans leur Scénario book (un roman representant les scripts de la série avec moult commentaires des créateurs) nombres de symboles et de clins d'oeils connus d'eux seuls ! Exemple en est des noms de certains lieux et personnages de la série, tel la discothèque Cyberia qui est un hommage à D. Rashkoff, le père de la cyber-culture américaine. Tel aussi le professeur W.H. Hodgson, le savant à l'origine de l'expérience Kensington (épisode 6) sur la télékinésie, dont le nom est en fait une contraction entre Dogson, vrai nom de L. Carrol, auteur d'Alice au Pays des Merveilles et de L. Hodges, célèbre neurologue anglais, Prix Nobel de médecine !
D'autres symboliques plus visuelles sont toutefois plus évidentes pour les téléspectateurs, qui ont compris que dans cette série, les sons, la musique (toujours différente d'un épisode à l'autre, fait rare pour une série TV), les mots, les images étaient connectés, s'illustrant réciproquement. Tels les ensembles de câbles inondant le ciel de Tôkyô, accompagnés des ronronnements de l'électricité, rendant palpable dès le début de la série, l'omniprésence d'Eiri Masami. La plupart des décors vides de populace, la ville semblant endormie, les figurants cachés dans le décor, s'opposent aux images du centre ville tel le quartier (jeune) de Shibuya, encombré d'une foule réelle mais anonyme et fermée. On remarquera aussi que les auteurs insitent beaucoup sur des éléments du corps humains tel la bouche, les oreilles ou les yeux, indispensables à la communication dans le monde réel ; la symbolique la plus originale étant l'illustration de la théorie que la mémoire de l'homme n'est qu'une donnée manipulable à volonté aux travers d'images de synthèse de corps humains en "fil de fer" déambulant dans les rues (épisode 11).
D'aucuns trouvent en cette série, une signification plus poétique tel l'écrivain Kiridoshi Rijaku (auteur de "Tu veux tuer le monde"), qui, enfant, se réveillait la nuit pour ne trouver que de la neige sur son écran de télévision. Avec les nouveaux horaires de diffusion de certaines séries, l'auteur tombe une nuit sur cette image de Lain lui parlant, lui téléspectateur, sur un fond de neige numérique, comme surgie du néant ! Quand l'étrange rejoint l'enfance...
Toutefois, Lain ne s'arrête pas à ces faux-semblants artistiques, celle-ci possède une histoire qui se construit au fur et à mesure que son univers évolue, telle la chambre de notre héroïne qui au début de la série est quasiment vide puis se remplit au fur et à mesure de son émancipation, pour finalement nous livrer un ensemble de réflexions philosophiques, parfois ardues ou naïves, auquel il est difficile de ne pas se livrer longtemps après avoir éteint notre téléviseur.

LAYER 02 : Les Tables de la Loi
Cependant avent d'aller plus loin, soyons honnêtes : sans Ghost in the Shell, Evangelion, et autres oeuvres appartenant à la vague des dessins animés dits réalistes (dans la forme et dans le fond), Lain n'aurait peut-être pas vu le jour. En ce sens, Pioneer (producteur de Lain), a la réputation d'être un talentueux "recycleur de succès" tel Armitage the Thid (du même scénariste que Lain !) ressemblant de loin à Gunmm, où encore Tenshi Muyo, proche de Ah, My Goddess!, La palme revient sans conteste à... Lain, qui est quasiment un remake en moins malsain mais en beaucoup plus original de Key : The Metal Idol, dont le thème (un être artificiel veut devenir réel par le partage de l'amour d'autrui) et proche du concept de notre série ! Les influences sont une chose, la manière de les faire ressurgir en est une autre ; et si cette histoire vous en rappelle d'autres, n'oublions pas que parfois dans une oeuvre, ce n'est pas tant l'histoire qui compte, mais la magnière de la raconter, de l'illustrer, et de l'interpréter !
Ainsi, avec Lain, Pioneer décide de mettre le paquet ! Fini les à peu près dans la direction artistique, l'humour décalé, la mise en scène privilégiant les mouvements de caméra sur des décors zébrés de couleurs avec des dessins fixes pour faire du mouvement une illusion. Place à la vraie mise en scène, à un univers où chaque détail, a été pensé ! Usant avec brio des dernières avancées de l'imagerie numerique, Pioneer tente le bizarre, l'inédit, la provocation (intelligente ?), ose parler de suicide, du rapport entre vie et mort, du mélange dangereux de la réalité et du virtuel, de la drogue (très difficile à montrer à la TV nippone) avec autant d'applomb, destinant cette oeuvre prioritairement à un public d'adultes avertis, certaines scènes mettant vraiment mal à l'aise et nécessitant pas mal d'objectivité ! Renvoyant aux meilleures oeuvres d'Andrew Niccol (Bienvenue à Gattaca) ou John Carpenter (L'antre de la Folie), Lain est parfois un véritable thriller d'angoisse cinématographique, distillant ses scènes chocs qui effrayent avec de "simples" dessins tel la scène finale de l'épisode 5, avec l'éradication lente et sournoise de la soeur de Lain, Mika, qui en a fait frissonner plus d'un !

LAYER 03 : Prophéties
Déjà se pose la question du devenir de cette série au look sophistiqué, empruntant tant au vidéo-clip qu'à la culture des thrillers psycologiques, dans un monde où les oeuvres audio-visuelles vieillissent si vite. En ce sens, Serial Experiments Lain n'est pas qu'un simple exercice de style vide de sens, mais un message tout autant qu'une étude sur les hommes et leur rapport à la technologie, leur façon de réagir et de cohabiter avec elle. Il faut voir ainsi les Knitghts qui sont les caricatures les plus pathétiques, de leur course, sans but réel, au progrès !
En cela, les créateurs ont appliqué la méthode suivante : s'appuyer sur un contexte réel (et quotidien dans Lain) pour y amener ensuite des éléments extraordinaires (méthode créée en partie par Alfred Hitchcock), tel des séries mythiques comme Les Mystérieuses Cités d'Or. C'est en se fondant sur d'antiques et véritables civilations que celle-ci exerça, en partie, autant de fascination sur les spectateurs qui pouvaient alors se plonger dans un univers mystérieux, mais qui surtout, avait une chance infime d'avoir pu être comme d'écrit dans leurs fiction TV !
Ainsi, Serial Experiments Lain se déroule comme son slogan l'indique : "ce jour-ci, au moment présent". Confrontée à notre propre espace temps, ses auteurs nous proposent non pas une fiction, mais un constat de ce que la technologie nous offrira et nous dictera sûrement dans les prochaines années ! Déjà , celle-ci commence à dépasser celle montrée dans Lain. Les Navis portatifs vont prendre un coup de vieux avec l'arrivée des portables troisième génération vers 2001. Ceux-ci seront de véritables ordinateurs avec caméra vidéo et modem, le tout tenant dans une main d'enfant ! Des enfants qui, désormais, usent de l'informatique comme d'un jouet supplémentaire. La précocité apparente de ceux-ci étonnent de plus en plus chaque jour et ils oublient parfois de vivre leur vie d'enfant, confondant vraie précocité et fausse maturité tel le jeune Taro, membre des Knights (qui eux-mêmes ne sont finalement que des "sales gosses", au vu de leurs comportements parfois infantiles), accentuant la frontière d'une technologie sensée rapprocher les hommes, mais qui éloigne ceux qui maîtrisent celle-ci, et les "laissés pour compte" de l'évolution...

LAYER 04 : La science sans l'esprit est le Diable
S'enracinant en notre réalité, Serial Experiments Lain étaye ses propos en accumulant une importante documentation scientifique et historique. Le meilleur exemple étant sans conteste l'incroyable épisode 9 !
Celui-ci exigea des moyens importants dans la recherche des archives live qui met en relation divers événements historiques tel le légendaire (et controversé) crash d'un OVNI à Roswell, Etats-Unis, et certains enquêteurs désignés par le gouvernement dans le but de prouver l'existence extraterrestre (authentique !). Certains membres de cette commission devinrent par la suite des acteurs essentiels du monde informatique et du multimédia, comme par hasard ! De là à dire que les extraterrestres ont quelque-chose à voir dans notre évolution technologique, il n'y a qu'un pas, que Lain ne franchit pas franchement, laissant planer le doute. Heureusement, car ce genre de rebondissement narratif aurait plutôt paru incongru et kitch dans l'univers de Lain...
Quant aux théories scientifiques les plus fumeuses, elle sont légion, avec en vedette, la fameuse théorie de la résonance SHUMAN qui nous décrit le phénomène d'électicité statique qui émane de notre Terre. Celle-ci n'est ni plus ni moins que la démonstration scientifique que la télépathie sera un jour une réalité ! Grâce aux impulsions émises par notre cerveau, s'ajustant sur cette résonance, il sera possible de se transmettre des informations instantanément, sans aucun apport technologique, ou de se connecter à des serveurs informatiques sans l'aide de périphériques (comme Lain le réussit dans l'épisode 12). Les possibilités en ce sens étant quasiment illimitées, la Terre devient par la même, un gigantesque réseau télépathique totalement naturel ! On imagine ce que cette puissance serait pour un esprit aussi vil que celui de Eiri Masami, dont le pouvoir "virtuel" parvient à contrôler la mémoire de plusieurs milliards d'hommes instantanément. Néanmoins, pour agir dans le monde physique, celui-ci a un argument scénaristique cent pour cent science-fictionnelle : le projet Kensington (ressemblant fortement au projet Akira) évoqué dans l'épisode 6 ! Ouf !

LAYER 05 : Adam et Eve
Ce qui nous amène au véritable but d'Eiri Masami. tel le Puppet Master de Ghost in the Shell, celui-ci est convaincu que l'évolution de l'Homme est arrivée à son terme, il ne peut aller plus loin dans l'intelligence ou l'esprit. Contrairement aux animaux qui s'adaptent tant bien que mal à leur environnement, l'Homme, pour survivre aujourd'hui, ne peut se passer du recours à la technologie. Qu'à cela ne tienne, pour sortir de cette "néoténie", le Puppet Master démontre que l'esprit de l'homme devrait entrer en symbiose totale (physique et psychique) avec l'informatique. Eiri va plus loin et propose d'apprendre à des machines (grâce aux possibilités de la résonance Shuman), et ensuite, d'abandonner notre corps matériel, pour ne plus exister que sous la forme d'informations pures, reformatables à volonté, vivant uniquement grâce à l'énergie statique de notre planète en une réalité alternative !
Toute fois, la vraie évolution ne passe-t-elle pas par notre "moi", autrement dit notre cœur, car même si Lain est sur le point de franchir le pas, celle-ci émet une dernière réserve de taille...

LAYER 06 : Genèse
Déjà évoquée dans Evangelion, Ghost in the Shell, Jin-Roh, et autres classiques du fantastique nippon, nous ne vivons, non pas forcément par nous-même, mais par l'intermédiaire des autres. Chacun d'entre nous existe sous une forme où une autre dans le cœur et la vie. Si nous disparaissons de la mémoire des hommes, alors nous mourons vraiment. Lain, en ce sens, se pose la question du sens de la vie, dans le fait qu'elle n'existe que pour son amie Alice, qui est seule à garder les souvenirs des caprices divins de notre héroïne. Pourquoi ? Parce que Lain veut un témoin de son existence, une épaule sur qui se reposer et se sentir vivante. Alice est sa seule et véritable amie, physiquement présente, la seule personne (Reika et Julie ne sont que des copines, sans plus) dont Lain ait gagné l'amitié dans le Real World, sans connexion virtuelle. L'amour et l'amitié véritables, tout des siens lui sont indispensables, tout comme son entourage compte sur son amour pour survivre. On se souviendra alors de la touchante déclaration d'amour paternelle faite par le faux père de Lain, qui au fur et à mesure de la série, apprend à aimer cette enfant adoptive, malgré le fait qu'il sache qu'elle n'est qu'une "machine" ! C'est cet amour qui la préservera de son autisme, de sa folie naissante, car à quoi bon exister à travers la mémoire des hommes si c'est pour la remodeler à la guise, sans repères fixes et durables auxquels se référer ? Alice ne le saura jamais, sombrant dans la folie, Lain l'ayant poussée dans les limites d'une réalité qu'aucun être humain ne sera un jour prêt à voir ! Malgré cela, Lain, dans son égoïsme inconscient et enfantin, tentera plusieurs fois de rallier Alice à son univers en sauvegardant plusieurs fois sa mémoire, effaçant à chaque faux pas, les mauvaises actions réelles du passé, mais qui peut se vanter d'être prêt à siéger à la droite de Dieu ?
Alors, après avoir éliminé toutes les solutions et interrogé sa conscience, Lain décide de redonner une autre chance au monde réel en s'effaçant de celui-ci, sachant qu'elle sera de nouveau seule, quelle n'existera plus que sous la forme d'une information perdue dans un Wired qui n'a jamais existé, en une réalité alternative qu'elle seule connaît ! Seule ? Peut-être que non, puisque celle-ci évoque au moment de la confrontation finale avec son vrai père, Eiri, la possible existence d'un Dieu qui aurait donné l'impulsion de créér à celui-ci. Sans les câbles, les réseaux, et tout simplement l'électricité statique l'entourant, Eiri n'existerait pas, de même que son pouvoir sur la realité est plus limité que celui de Lain ; qui lui a donné l'impulsion finale de libérer le Wired ? Si les hommes n'existent que par le reconnaissance en chacun de la conscience de l'autre, pourquoi Dieu lui-même ne se servirait-il pas de ce principe pour exister physiquement en notre réalité ? La réunion de nos consciences pousserait-elle dons une chose à exister réellement, notre cohésion capable d'engendrer notre environnement physique (théorie déjà exploitée dans un classique de la SF : Planète Interdite) ? Le projet Kensington, l'amitié réunissant nos héroïnes, les illuminés voulant rejoindre les Knights (à la solde involontaire de Eiri ?) : tout dans Lain tend à réunir des éléments complémentaires dans le but de se transcender, de passer à une étape suivante, bonne ou mauvaise, hélas ! L'union fait la force et dans ce cas-là, Eiri applique le principe contraire en divisant : par les rumeurs, les jeux virtuels, il pousse à diviser les forces capables de nuire à son pouvoir. Eiri se serait-il trompé dans sa quête ? Abusant du nom de Dieu, celui-ci ne voit même pas, au contraire de Lain dans l'épisode 13, que le Wired est la porte de l'Eden. Une symbolique - il est vrai facile - mais symptomatique de ce que nous attendons actuellement du Net : retrouver un Paradis perdu ...

LAYER 07 : Le dernier Testament
On remarque qu'aujourd'hui, nombre d'oeuvres de SF se concentrent sur le problème de la quête d'identité, de l'évolution de l'homme, de la perception de la realité. Tendance due au passage du troisième millénaire ? Une chose est sûre, l'heure des bilans a sonné dans nombre des régions du globe...
Mais au-delà de toute tentative d'analyse philosophique, scientifique et religieuse, Lain n'est finalement qu'un hymne à la reconnaissance de l'autre, à gagner l'amour d'autrui, de partager entre nous toutes les joie et les peines d'une existence qui n'a parfois d'humain que l'apparence. Lain n'avait pas besoin de tout ce pouvoir qui l'a finalement dissoute comme un rêve, mais juste besoin d'exister. De tous les personnages de la série qui tendent vers une évolution ultime (mais futile, car sans amour) tels les Knights, seule Lain, qui n'a rien demandé à personne, y aura droit...
Ainsi, si la fin de la série paraît simpliste au premier abord, n'oublions pas que cette décision émane d'une enfant de quatorze ans qui n'a que quelques semaines d'existence réelle ! Cette naïve décision n'est-elle pas une fuite en avant, un prétexte pour Lain d'échapper à la responsabilité de ses actes dans le monde réel, en se réfugiant dans son "moi" attendant une lumière divine pour la délivrer de ses angoisses enfantines mais légitimes ? Cette lumière viendra, certe, faisant d'elle l'ange gardien d'un monde dont la maxime serait : "Si peronne ne se souvient de ce qui s'est passé, alors cela ne s'est jamais passé" ; une phrase couperet dont l'histoire des hommes a longtemps abusé, non ? Alors si Lain n'existe plus, à qui transmettra-t-elle son vécu, ses expériences qui ont construit ce qu'elle est ? Une Alice, désormais adulte et peu encline aux rêves de l'enfance ?
On dit qu'à chaque homme qui meurt, c'est une bibliothèque qui brûle. Avec Lain c'est un univers entier qui bascule dans un néant dont elle seule possède désormais la clé des songes.
Qui sait quand se produira le prochain réveil de la marchande de sable...

Credits.
Article original de Philippe Karakasyan - Anime Land n°53
Trouvé sur www.lain.ht.st
Relecture + mise en page : Gore.